Octobre rouge des Québécois

Une commémoration revue

« Les Québécois des années 1970 n'étaient pas obligés de choisir entre la révolution et la répression » — écrit le professeur Éric Bédard

Les QUÉBÉCOIS marquaient il y a deux ans le 50 e anniversaire de la crise d'Octobre. Dans un contexte de pandémie, on aurait pu croire que cette commémoration passerait inaperçue. Pourtant, contre toute attente, il a attiré beaucoup d’attention du public, du moins au Québec. Tous les grands quotidiens donnent la parole aux participants survivants et publient des articles conséquents, parfois étalés sur plusieurs semaines. Qu’est-ce qui explique ce niveau d’intérêt ?

La large couverture médiatique constitue en soi une partie de l'explication. Au premier rang se trouve l'empire de l'information Quebecor qui possède les principaux quotidiens québécois, le câblodistributeur Vidéotron et la chaîne de télévision TVA, la plus regardée au Québec. Quebecor a fourni un soutien financier et a présenté en première le documentaire « Les Roses ». La famille Rose a bien sûr été très engagée lors des événements d'octobre, les frères Paul et Jacques appartenant à la cellule Chénier, qui a kidnappé et assassiné Pierre Laporte, le vice-premier ministre du Québec.

Réalisé par Félix Rose (le fils de Paul), « Les Rose » a reçu un très bon accueil lors de sa sortie en août dernier. Lors de diverses projections en salle, plusieurs personnalités politiques de la gauche souverainiste ont pris le temps de se faire prendre en photo à côté de l'affiche. Certains, comme la députée Catherine Dorion de Québec solidaire, sont allés jusqu'à lever le poing, signe ostentatoire des révolutionnaires des années 1960.

Le film de Rose est désormais disponible gratuitement sur le site Internet de l'Office national du film, qui a contribué à son financement. Il puise dans une riche veine d'archives audiovisuelles inédites pour évoquer l'époque d'humiliation endurée par de nombreux Canadiens français qui travaillent dur, l'une des sources sous-jacentes de la colère sur laquelle puise le FLQ. Certains commentateurs ont trouvé que Rose avait été trop indulgente avec le FLQ, critique injuste puisque le réalisateur admet pleinement sa subjectivité artistique et ne prétend pas offrir un récit impartial et définitif des événements d'octobre ou de l'histoire du FLQ.

D'autres documentaires ont également attiré l'attention. Autre réalisée par Félix Rose, la série « Le Dernier felquiste », diffusée sur une chaîne payante de Vidéotron, a offert une enquête fascinante et bien menée des journalistes Antoine Robitaille et Dave Noël sur le mystérieux assassinat de François Mario Bachand, un FLQ. militant retrouvé mort dans un appartement parisien le 29 mars 1971. De son côté, la chaîne francophone Historia (Corus Média) présentait « FLQ : la traque », un docudrame réalisé par Guillaume Fortin qui a pris le point de vue du policier et du procureur de la Couronne du Québec, Jean-François Duchaîne, chargé par le gouvernement du Québec de faire la lumière sur les événements. À Radio-Canada, les journalistes Marc Laurendeau et Anne-Marie Dussault ont proposé « Pour l'avoir vécu », une série radiophonique sur leurs propres réflexions sur les événements.

La qualité de ces productions médiatiques leur a conféré un impact bien plus important que celui des historiens ou des journalistes. Livres de Jules Falardeau ( La Crise d'Octobre : 50 ans après , publié aux Éditions du Journal de Montréal) et Jean-François Lisée ( Insurrection appréhendée. Le grand mensonge d'octobre 1970 », publiés par Carte blanche) étaient en réalité des synthèses basées sur des sources secondaires. La réédition du récit de Louis Fournier, FLQ : Histoire d'un mouvement clandestin , réimprimé cette année par vlb éditeur (et traduit en 1984 sous le titre FLQ : l'anatomie d'un mouvement clandestin ), a fourni des détails inédits et de nouveaux documents, mais rien pour transformer notre compréhension des événements. On pourrait dire la même chose de ma Chronique d'une insurrection appréhendée de 1998. Jeunesse et crise d'Octobre , réédité par Septentrion cette année.

Les acteurs de la crise n’ont pas non plus sorti de livres d’un grand intérêt. Certains participants, comme Jacques Rose, Jacques Cossette-Trudel ou Louise Lanctôt, ont choisi de donner des entrevues plutôt que de proposer de nouveaux témoignages sur leur militantisme de jeunesse. Seuls Marcel Faulkner ( FLQ. Histoire d'un engagement ), publié par Fides ; et Robert Comeau ( Mon Octobre. La crise et ses suites ) ont pris la peine d'écrire un livre, mais aucun des deux ne contenait de révélations significatives.

IL DOIT SÛR qu’il y ait eu une demande importante pour tout cela. Si les médias, les éditeurs et les libraires ont conclu que l'anniversaire de la crise d'Octobre était une grande affaire, c'est parce qu'ils étaient convaincus que les événements fascinent toujours les Québécois 50 ans plus tard.

L’intérêt vient sans doute des événements eux-mêmes. Contrairement à la France ou aux États-Unis, le Québec moderne n’a pas été créé par une révolution. Tout au long de leur histoire, les Québécois ont préféré le libéralisme classique à l’ultramontanisme catholique au XIXe siècle, la doctrine sociale de l’Église au fascisme pendant la dépression des années 1930, la social-démocratie au socialisme autoritaire au cours des turbulentes années 1960. Autrement dit, les Québécois ont toujours préféré la réforme à la rupture. Voir des jeunes prendre les armes, poser des bombes, kidnapper des personnages célèbres et mettre fin à la vie d’un homme politique de premier plan était absolument unique dans notre histoire.

Aujourd’hui, dans un Québec vieillissant, toujours dominé démographiquement par les baby-boomers, le souvenir de ces événements a peut-être éveillé une certaine nostalgie d’une époque qui refusait le compromis et qui aspirait à un changement politique et culturel radical, recourant même à la violence. La polarisation politique actuelle, dominée par le populisme et les discours manichéens, rend les solutions simplistes attrayantes. Ces souvenirs peuvent aussi raviver chez certains la nostalgie d’un projet indépendantiste couplé à un idéal de transformation socio-économique. Aux yeux des felquistes (le FLQ et leurs sympathisants), indépendance et socialisme allaient de pair.

Loi sur les mesures de guerre

Mais se souvenir d'octobre, c'est aussi rappeler le grief historique autour de la Loi sur les mesures de guerre , décrétée dans la nuit du 15 au 16 octobre 1970. En quelques jours, la police avait arrêté 497 personnes, dont plusieurs en pleine nuit. C'est sans compter les dizaines de milliers de perquisitions effectuées dans de nombreux domiciles. Si la violence du FLQ était inquiétante, la répression des autorités était disproportionnée, plus digne d'un régime autoritaire.

Cet automne, le Bloc québécois a demandé des excuses officielles à l'État fédéral. Mais cette dernière, par la voix de son premier ministre, a rejeté d'emblée la demande, alléguant que cette loi liberticide avait à l'époque été demandée par la Ville de Montréal et la province de Québec, dont les forces policières étaient débordées.

Un refus a bien sûr été dicté par la volonté de M. Trudeau de préserver la mémoire de son père, qui est vu par le Canada anglais progressiste comme un grand défenseur des droits et libertés à qui les Canadiens doivent notamment la refondation de 1982 et son auguste Charte . , censé protéger les minorités. Mais refuser de s'excuser pour la suspension des libertés les plus fondamentales en temps de paix, l'emprisonnement arbitraire et l'occupation militaire du Québec, c'est ignorer l'une des pages les plus sombres du règne de Pierre Elliott Trudeau.

AU QUÉBEC AUJOURD’HUI, encalminé depuis l’élection de la Coalition Avenir Québec (CAQ) en 2018, la commémoration d’octobre a rouvert une vieille blessure qui n’est toujours pas cicatrisée. Cinquante ans plus tard, de nombreux Québécois se sentent encore obligés de prendre parti.

Jusqu'à l'automne 1970, les partisans ou sympathisants du Canada déplorent la mort de Pierre Laporte et la violence du FLQ comme étant inacceptables, mais se gardent bien de condamner le recours à la Loi sur les mesures de guerre . De leur côté, les souverainistes ont pour la plupart ignoré la violence felquiste et ont concentré leur colère sur les descentes de police. Et plusieurs ont adopté la rhétorique de certains dirigeants du FLQ sur le « blocage » québécois de l'époque.

Cette théorie du « blocage » – l'idée selon laquelle le Québec serait politiquement enfermé, coincé sans issue – est avancée par Paul Rose dans le documentaire de son fils, à partir d'un entretien en prison en 1980. Pour justifier le recours à la violence, l'ancien chef du la cellule Chénier affirmait qu'à l'automne 1970 le Québec se trouvait dans une impasse démocratique. La répression des jeunes à la Maison du pêcheur de Percé, l'interdiction de manifester à Montréal décrétée en 1969, le « coup d'État de Brinks » lors des élections québécoises du printemps 1970 et la performance décevante du Parti québécois, donc dans un contexte a justifié d’une certaine manière l’enlèvement de deux personnalités et l’assassinat de l’un d’eux.

Quand on prend du recul, l’argument de Rose ne tient absolument pas la route. Les Québécois des années 1960 ont été témoins de nombreuses réformes structurelles dans l'économie et dans l'éducation. Le Parti québécois, après moins de deux ans d'existence, avait obtenu près de 25 % du suffrage populaire aux élections du 29 avril 1970, ce qui était considérable. Ses événements de campagne ont attiré de grandes foules jeunes et enthousiastes. Les souverainistes ont droit à de grands espoirs, à condition qu'ils soient patients et poursuivent leur travail de mobilisation.

Le Québec, à l’automne 1970, n’était aucunement « bloqué ». Mais il n’a pas non plus été confronté à une « insurrection appréhendée » ou à une révolution de la jeunesse. Ces justifications des autorités pour suspendre les libertés les plus fondamentales reposaient sur des rumeurs, des craintes, un certain climat d'opinion, et non sur des données objectives ou des informations fiables. La force du FLQ était en effet bancale, son action improvisée, ses intentions confuses.

Les Québécois de 1970 n’étaient pas plus obligés de choisir entre révolution et répression qu’ils ne le sont en 2020. Peuple équilibré et pacifique, il préférera toujours l’ordre, la réforme et l’unité. C’est ce que François Legault et son gouvernement semblent avoir compris, et c’est en partie ce qui fait son succès.

Faits marquants de la crise d'octobre

5 octobre  Enlèvement de James Richard Cross, attaché commercial britannique

8 octobre  Lecture du manifeste du Front de Libération du Québec à Radio-Canada

10 octobre  Enlèvement de Pierre Laporte, vice-premier ministre du Québec

15 octobre  Grand rassemblement en soutien au FLQ à l'Aréna Paul-Sauvé de Montréal

16 octobre  Décret de la Loi sur les mesures de guerre ; 497 personnes arrêtées

17 octobre  Découverte du corps de Pierre Laporte dans le coffre d'une voiture

3 décembre  James Richard Cross est libéré en échange d'un sauf-conduit vers Cuba pour ses ravisseurs

* Cet article a été initialement publié dans The Dorchester Review Volume 10 Numéro 2 Automne/Hiver 2020, pp.

Éric Bédard est historien et professeur à l'Université TELUQ, le volet d'enseignement à distance de l'Université du Québec. En 2020, Septentrion sort une nouvelle édition de son livre, Chronique d'une insurrection appréhendée. Jeunesse et crise d'Octobre . Chronique d'une insurrection appréhendée : la jeunesse et la crise d'octobre. Ses autres livres comprennent une Histoire du Québec pour les nuls ( Wiley, 2013) et Les Réformistes : Une génération canadienne-française au milieu du xix e siècle (Boréal, 2009). Il est titulaire d'un doctorat. de McGill et a étudié les affaires internationales à Sciences Po, l'Institut d'études politiques de Paris.


Article précédent Article suivant


Laissez un commentaire

Veuillez noter que les commentaires doivent être approvés avant d'être affichés