Napoléon et les Canadiens français

Par Serge Joyal

Serge Joyal PC, qui a été sénateur de la division de Kennebec de 1997 à 2020, est avocat et expert collectionneur et évaluateur. Il a été député libéral d'une circonscription de Montréal pendant dix ans, dont deux ans comme ministre d'État dans le cabinet de Pierre Elliott Trudeau. Cet article est adapté du livre de Joyal Le Mythe de Napoléon au Canada français .

IL Y A BEAUCOUP de Napoléon. Mis à part la personne réelle qui a existé et qui est vénérée ou méprisée, tout ce qui lui est lié suscitera forcément un vif intérêt. Le dernier de ses bicornes, appartenant à la collection personnelle de feu le prince Rainier de Monaco, a été vendu aux enchères en 2014 pour 1,9 million d'euros (2,3 millions de dollars). Il n’a pas été acheté par un collectionneur français, britannique ou américain mais par Kim Hong-Kuk, le président sud-coréen du groupe Harim, un conglomérat alimentaire.(1)

Le bicorne est désormais exposé dans l'atrium de son nouveau siège à Séoul comme symbole d'entrepreneuriat et de résilience. En 2016-2017, le Musée canadien de l'histoire a présenté une exposition sur l'influence de Napoléon sur le développement de Paris. En 2018, le Musée des beaux-arts de Montréal a organisé une exposition spectaculaire intitulée « Napoléon : art et vie de cour au palais impérial » qui a attiré 100 000 visiteurs. L'exposition a ensuite voyagé au Virginia Museum of Fine Arts et au Kimbell Art Museum au Texas, et se rendra au château de Fontainebleau, près de Paris, au printemps 2019.

Tous les pays créent des mythes pour esquisser leurs aspirations et refléter une image de leur identité nationale. Tel était le mythe de Napoléon en France et, comme nous le verrons, même au Canada français.

Il n'est pas vraiment surprenant de constater que le mythe de Napoléon a aussi une histoire au Canada français. Ce qui est surprenant, c'est qu'elle remonte à son vivant et, même si sa nature a changé au fil du temps, elle l'a fait d'une manière qui reflète le développement du Québec au cours de deux siècles. Bien qu'il n'ait jamais mis les pieds en Amérique du Nord, Napoléon est resté une icône durable et polyvalente.

Il y a trois phases distinctes dans l'histoire de Napoléon au Québec. La première a coïncidé avec sa vie. À son arrivée sur la scène nationale en France dans les années 1790, il fut dénoncé au Canada français comme le produit inévitable de la Révolution française malfaisante et destructrice – vilipendé comme un usurpateur et un tyran illégitime qui avait profité du renversement du roi pour prétendre une couronne impériale pour lui-même tout en menaçant la stabilité de toute l'Europe. Sa défaite finale fut acclamée par les Canadiens français et célébrée comme la justification de l'ordre traditionnel de la société fondé sur l'alliance naturelle de l'Église et de la Couronne.

Le deuxième mythe s'est développé au milieu du XIXe siècle, alors que le Québec cherchait à affirmer son identité française face à la domination anglaise et aux tendances assimilationnistes. Le Napoléon de cette époque n’était plus le méchant usurpateur, mais le courageux héros romantique qui luttait pour s’opposer à l’hégémonie britannique arrogante. Ce Napoléon

a été salué pour avoir soutenu l'ordre rationnel et le progrès social grâce à la création d'un code civil moderne. Les dirigeants du Québec se sont identifiés à ce héros et, comme lui, ont lutté pour revendiquer leur identité et surmonter les obstacles à leurs droits légitimes au sein d'un Canada qui s'efforçait également d'établir un gouvernement responsable.

La troisième venue de Napoléon au Québec coïncide avec la popularisation et la commercialisation de son image dans les temps modernes. C’est une incarnation populiste qui simplifie la légende jusqu’à la caricature. L’image du stratège maussade et brillant militant portant le bicorne emblématique est utilisée pour vendre une gamme de produits. Dans le même temps, il est devenu un incontournable des caricaturistes se moquant des politiciens aux tendances autoritaires ou ayant trop confiance en leur propre génie.

« Il y a trois phases distinctes dans l'histoire de Napoléon au Québec : la première dans la vie, la deuxième dans la mort et la troisième dans sa longue au-delà. »

Le bouleversement bouleversant de la Révolution de 1789 et le règne de la terreur qui a suivi ont stupéfié les habitants du Québec qui, comme leurs cousins ​​continentaux, avaient vécu au sein d'une structure sociale encadrée par l'Église et la Couronne.

Lors de la signature du Traité de Paris en 1763, lorsque les territoires français du Canada tombèrent sous la domination britannique, un élément social essentiel qui survécut fut l'allégeance à un monarque. Les Canadiens français étaient résolument monarchiques ; ils avaient vénéré leur ancien souverain, Louis XV, et acceptaient désormais George III comme une autorité bienveillante dévouée au bien-être de son peuple, couronné « par la grâce de Dieu » dans une mission divine, sa personne revêtue d'une aura de divinité. droite.

Pour les Canadiens français, la Révolution représentait le renversement blasphématoire d’un héritage vénéré de l’ Ancien Régime . Il ne leur restait alors qu’une seule issue : s’opposer à la Révolution sous toutes ses formes et remercier Dieu de ce qu’ils avaient été épargnés de ses maux. Pour aggraver le choc, le nouveau régime français avait déclaré la guerre à la Grande-Bretagne le 1er février 1793. Le Canada était également en guerre. Le gouverneur, Lord Dorchester [huzzah ! — ndlr], était profondément préoccupé par le maintien de l'allégeance des Canadiens français, craignant que certains ne profitent de la guerre pour précipiter une rébellion, à l'instar des colons américains en 1775-1776.

De son côté, l'évêque catholique de Québec, Mgr Joseph-Octave Plessis, n'avait pas de telles craintes, puisque l'Église était fermement opposée à la Révolution et que les Canadiens français étaient monarchistes. Il publie régulièrement dans les paroisses de la Colonie des instructions dénonçant avec force les horreurs de la révolution.

Pour le soutenir dans cette tâche, Plessis fut aidé par des prêtres français émigrés nouvellement arrivés de Londres. Ils faisaient partie des milliers de personnes qui avaient refusé de prêter allégeance obligatoire à la nouvelle constitution laïque française et avaient trouvé refuge en Angleterre. Mgr Plessis avait obtenu avec succès la permission de Lord Dorchester d'amener cinquante de ces prêtres français émigrés au Canada pour servir dans des paroisses qui manquaient de prêtre permanent. Pour l'évêque, leur arrivée représentait une riche veine de sang neuf, coupée depuis 1763. En fait, le gouverneur et l'évêque avaient un ennemi commun dans la révolution et devinrent de solides alliés. Mgr Plessis n'hésitait pas à soutenir la Grande-Bretagne dans sa lutte contre la France impie, et les prêtres immigrés partageaient les mêmes convictions. L'évêque a appelé le peuple à rester fidèle à la Couronne britannique qui avait accordé la liberté religieuse à ses sujets catholiques et leur avait permis, depuis 1791, de bénéficier d'une Assemblée élue qui examinait et adoptait des lois dans leur propre langue.

Les dirigeants politiques du Canada français étaient en totale sympathie avec Dorchester. Denis Benjamin Viger, bourgeois aisé de Montréal et élu à la Chambre d'Assemblée , publie en 1809 un pamphlet dans lequel il dénonce Napoléon qui impose ses lois aux pays qu'il conquiert. En comparaison, les Britanniques étaient beaucoup plus sages, permettant aux peuples sous leur domination de maintenir leurs coutumes sociales et leur système juridique. Au Québec, la validité de l'ancienne coutume de Paris est reconnue dans l' Acte de Québec adopté à Westminster en 1774, et les Canadiens français sont reconnaissants envers les autorités pour la reconnaissance de leur langue, de leur religion et de leur mode de vie. Pour Viger, les Britanniques suivaient l’exemple d’un Jules César bienveillant, qui laissait intactes les habitudes et les manières de vivre des populations qu’il avait conquises et évitait ainsi le ressentiment contre la domination romaine.

Napoléon était donc considéré comme le produit inévitable de la violente perturbation de la Révolution. Il envahit l'Italie et perturba le pape dans son règne pacifique sur les États du Vatican, pilla les grands trésors artistiques italiens et imposa des droits et taxes onéreuses. Il était l'incarnation de tout ce à quoi les Canadiens français s'opposaient et méprisaient résolument.

Les journaux du Québec se lancent en croisade pour dénoncer le grand usurpateur. La Gazette de Québec et Le Canadien de Montréal rapportent toujours favorablement les victoires britanniques et alliées. Ils ont également publié des dizaines de chansons aux paroles inédites adaptées pour dénoncer Napoléon, basées sur des airs folkloriques connus de tous. Le mythe méchant de Napoléon pénètre ainsi profondément dans le tissu social québécois.

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La campagne ANTI-NAPOLÉON atteint son apogée avec les victoires de l'amiral Horatio Nelson à Aboukir, sur le Nil, en 1802 et à Trafalgar en 1805. Cette dernière, au cours de laquelle Nelson fut mortellement blessé, fut annoncée la veille du Nouvel An et reçue avec un proposition enthousiaste d'ériger à Montréal un monument qui existe aujourd'hui. Ce qui est plus révélateur est le soutien incontestable du clergé canadien-français pour financer la construction de

la colonne Nelson. Le registre des noms et montants de tous ceux qui ont souscrit au monument comprenait l'évêque et le supérieur de l'ordre sulpicien qui ont donné une somme substantielle au pair avec le marchand le plus riche, John Ogilvy, et le double du don de James McGill, la fourrure Commerçant. Même les prêtres des paroisses éloignées comme celle de Baie du Fèvre ont souscrit leur modeste livre. Malgré la loyauté des autorités ecclésiastiques, l'arrivée de James Craig comme gouverneur en 1807 provoque des tensions politiques. Craig, qui avait combattu Napoléon en Europe, se méfiait des Canadiens français. Il ordonna la saisie de l’imprimerie du Canadien et fit emprisonner ses rédacteurs. Cette approche était peu judicieuse et risquait de saper le soutien à un moment critique. Napoléon avait imposé un blocus continental dans le but d'étouffer le commerce. Avec la fermeture des ports du nord de l'Europe, le blocus s'avère être une aubaine pour le Canada, qui fournit alors en grande quantité le bois des mâts indispensables à l'entretien et au renforcement de la flotte britannique.

Craig fut remplacé en 1811 par George Prévost, un administrateur et diplomate compétent qui parlait français, sa nomination étant clairement une tentative d'apaiser les Canadiens français à une époque de tensions croissantes avec les États-Unis. La vente de la Louisiane aux États-Unis en 1803, patrie des Acadiens exilés, avait alimenté les soupçons selon lesquels Napoléon ferait de même avec le Canada, s'il en avait l'occasion. Lors d'un échange en 1814 avec un officier gallois, le major Vivian, alors qu'il était en exil sur l'île d'Elbe, Napoléon prédit que le Canada deviendrait un État américain et que la Grande-Bretagne n'aurait rien à gagner d'un territoire composé uniquement de lacs, de rochers et de forêts - un écho de la boutade de Voltaire sur « quelques arpents de neige ».

Les Américains, vaincus en 1775 dans leur tentative de prendre Québec, décident en 1812 d'envahir le Canada alors que les forces britanniques sont concentrées en Europe. La milice canadienne-française fut rapidement rassemblée et dépêchée. Il n’y a eu absolument aucune hésitation de leur part ; Les Canadiens français ne voulaient pas tomber sous la domination américaine. Le major-général Isaac Brock réussit à repousser les troupes d'invasion en Ontario, tandis que le lieutenant-colonel de Salaberry bat les Américains à Châteauguay en 1813, après de violents combats des deux côtés et avec l'aide de nombreux guerriers indiens. Avec la défaite de Napoléon suite à sa désastreuse campagne de Russie, les troupes britanniques furent envoyées de l’autre côté de l’Atlantique et combattirent aux États-Unis. Au Canada français, la chute de Napoléon est unanimement célébrée. Lors d'un Te Deum d'action de grâce pour la victoire, Mgr Plessis prononça un discours énergique contre le tyran sanglant. Le gouverneur Prévost avait déjà annoncé à Mgr Plessis que son statut officiel d'évêque catholique de Québec avait été reconnu par les autorités de Londres, réglant ainsi une question en suspens depuis 1763.

Napoléon fut exilé sur l'île de Sainte-Hélène, dans l'Atlantique sud. Mais le mythe allait entrer dans une phase nouvelle et tout à fait inattendue. C'est ensuite la naissance d'une légende qui a fait appel à l'imagination des Canadiens français à une époque où ils devaient se battre pour affirmer leur identité, leur langue et leur sens de leur destinée au Canada.

Les Britanniques, de leur côté, avaient vaincu l’homme le plus puissant de la planète et voulaient que le monde le sache. Le carrosse personnel que Napoléon avait abandonné à Waterloo fit une tournée en Angleterre ; n'importe qui pouvait s'y asseoir pour quelques centimes. Les armes, portraits et bien d'autres objets saisis par les Alliés dans les palais impériaux de Paris furent transportés à Londres et exposés dans un musée ouvert au public en 1816. Un panorama surdimensionné de la bataille de Waterloo a été peint et présenté comme une attraction publique. Présenté sous forme de rotonde ou de présentation circulaire, ce panorama fait même le tour de Québec et de Montréal en 1817, permettant au public canadien de visualiser les affrontements des armées qui combattirent à Waterloo.

Ce spectacle a eu des effets inattendus. Loin de disparaître de l'esprit du public, la mémoire de l'Empereur prend une nouvelle vie comme sujet de conversation. Napoléon n'est plus évoqué comme une menace, mais comme un phénomène humain, l'homme légendaire qui a réussi à imposer sa volonté et la gloire de la France jusqu'en Égypte et dans presque toute l'Europe.

La légende a inspiré les romanciers, les dramaturges et autres prestidigitateurs. Depuis son île isolée, Napoléon était connu pour dicter ses mémoires. Ils n'ont pas encore pu être publiés. Mais en France, l'astucieux et talentueux écrivain Jacob-Frédéric Lullin songe à imiter la voix de Napoléon et publie le Manuscrit venu de Sainte-Hélène , d'abord à Londres en 1817, puis à Montréal et à Québec en 1818. La tromperie est presque parfaite. . Le livre s'est bien vendu et est devenu le sujet de nombreuses conversations publiques, l'effet étant si réaliste que tout le monde croyait aux hautes motivations et aux idéaux généreux exprimés par ce « Napoléon ». Il semblait véritablement préoccupé par la liberté des peuples vivant sous des monarchies tyranniques et dans des sociétés privées de science et de lumières. Un tel détachement du simple gain personnel ajoutait un élément de sympathie pour l'empereur vaincu.

Bien sûr, Napoléon a ensuite nié être l'auteur du livre, mais entre-temps une nouvelle légende avait fait le tour du monde et pénétré l'esprit du public. Après la mort de Napoléon, le 5 mai 1821, les véritables Mémoires — le Mémorial , qu'il avait dicté à son secrétaire Las Cases — furent publiés en 1823. Ils connurent un immense succès et inspirèrent immédiatement des pièces de théâtre qui donnèrent vie à Napoléon sur scène. En 1831, le premier texte de Napoléon à Sainte-Hélène est écrit et publié à Montréal, et interprété également à Québec par des acteurs canadiens.

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LE PREMIER Canadien FRANÇAIS à écrire l'histoire du Canada dans une perspective libérale et nationaliste, François Xavier Garneau, s'était rendu en France en 1831. Ses écrits à ce sujet ont largement circulé. Pour Garneau, il était important de découvrir l’homme derrière le général et l’empereur, objet d’une nouvelle fascination. La Société Napoléonienne a été fondée par l'homme de lettres et éditeur Napoléon Aubin, qui avait adopté le nom. Ils célébraient l'anniversaire de l'Empereur chaque 15 août.

Parallèlement, la situation politique au Bas-Canada (Québec) devient tendue à la veille de la Rébellion de 1837-1838. Les dirigeants politiques de l'époque, Louis-Joseph Papineau et Edmund Bailey O'Callaghan, ont trouvé leur inspiration dans l'histoire militaire napoléonienne. La célèbre phrase : « La Garde meurt mais ne se rend pas ! » devient un cri de ralliement pour mobiliser les Patriotes sur les mini-champs de bataille de Saint-Dénis et de Saint-Eustache, ainsi que dans les nombreuses assemblées publiques où ils se rassemblent.

L'esprit de Napoléon est resté présent dans le mouvement visant à établir un gouvernement responsable au Canada dans les années 1840. Et curieusement, le premier ministre du Canada-Uni, Sir Louis-Hippolyte Lafontaine, était un sosie de Napoléon. Il avait un visage plutôt fort, avec une mèche de cheveux sur le front tout comme Napoléon. L'épouse du gouverneur général, qui avait vu Napoléon des années auparavant lors d'une réception sociale en France, a déclaré que si elle ne savait pas que Napoléon était mort, elle aurait pensé que c'était lui ! Selon les chroniqueurs de l’époque, Lafontaine était le clone parfait. Lafontaine savait qu'on le prenait pour un sosie de Napoléon. Comme tout bon homme politique, il cultive son apparence, gardant même son bras droit dans sa veste à la Napoléon .

"Les règnes de Napoléon et de Napoléon III sont devenus avec le recul un âge d'or pour la religion catholique partout où l'héritage de Napoléon pouvait être mentionné"

Le mythe s'est rapidement développé lorsque Napoléon III, neveu de Napoléon, est devenu empereur en 1850. Napoléon III a eu de la chance : il a été élu empereur, chevauchant la mémoire du « Grand Napoléon », alors que toute une génération de citoyens français ressentait la nostalgie des gloires passées. . Napoléon III a connu la reine Victoria depuis son exil en Angleterre.

La Reine et le Prince Albert étaient personnellement fascinés par Napoléon. Lors d'un voyage officiel à Paris en 1855, Victoria demande à visiter le Tombeau de l'Empereur aux Invalides et achète un tableau de « Napoléon à Fontainebleau » de Delaroche comme cadeau pour son mari. Une chanson folklorique ridicule a été composée par une religieuse identifiée comme auteur et associait Napoléon à un flirt fantaisiste avec la reine Victoria. Étonnamment, elle survit encore aujourd'hui dans les régions rurales du Québec, encore chantée par les personnes âgées qui se souviennent de ces paroles comiques.

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CLAIREMENT, les mauvaises associations du nom de Napoléon avaient désormais disparu. Restait un homme extraordinaire, dont la vie personnelle et publique dépassait l'imagination : un self-made man qui a commencé de rien dans un lieu obscur (la Corse) et a conquis le monde. Il était en effet le sujet idéal pour un roman et a inspiré

l'écrivain canadien-français Antoine Gérin-Lajoie pour imaginer la vie d'un agriculteur audacieux ouvrant un nouveau territoire à la colonisation, Jean Rivard (1862), avec l'énergie napoléonienne, et construisant enfin une nouvelle ville, dont il devient sans surprise le maire bienveillant ! Le héros était, comme on pouvait s’y attendre, surnommé « l’Empereur ».

Les Canadiens français baptisaient même leurs fils et filles des prénoms de Napoléon et Joséphine ou de Marie Louise (la seconde épouse de Napoléon), prénoms parmi les plus populaires auprès des familles canadiennes-françaises au milieu du XIXe siècle et restés en vogue pendant cent ans. Les trois filles de Sir George-Etienne Cartier, le père de la Confédération, furent baptisées Victoria, Joséphine et Hortense (une fille de Joséphine issue de son précédent mariage). Cartier lui-même portait sur sa cravate une épingle avec une miniature de Napoléon. On retrouve plusieurs membres de la classe dirigeante portant de tels noms : un premier ministre du Québec, S. Napoléon Parent ; un évêque de Montréal, Louis-Joseph-Paul-Napoléon Bruchési; un président de l'Assemblée législative, J. Napoléon Francoeur; de nombreux avocats et députés comme Napoléon A. Belcourt ; un joueur de baseball, Napoléon Lajoie; un peintre, Napoléon Bourassa, etc.; le nom était également populaire parmi les gens ordinaires.

Le nom de Napoléon était donné aux navires, aux rues de nombreux villages, aux montagnes et aux rivières ; c'était aussi un passe-temps populaire d'assembler des albums avec des photos de Napoléon, dans ses différents rôles de général, empereur, mari ou législateur, portant toujours son célèbre costume de grenadier. Les Almanachs, publication annuelle très populaire parmi les classes populaires et parfois le seul livre disponible dans les foyers modestes, comportaient souvent des articles sur Napoléon, inventés ou embellis, de génération en génération.

Un événement qui aura eu un impact durable fut la visite officielle en 1855 de La Capricieuse , un cuirassé français, premier navire à entrer dans le Saint-Laurent au nom de l'État français depuis 1763. Napoléon III avait approuvé la visite et reçu l'autorisation des Britanniques. . Son objectif était d'établir des relations consulaires formelles avec le Canada-Uni et de favoriser les échanges commerciaux. Les Canadiens français ont célébré ce monument historique, un retour émouvant dont ils se sentaient redevables à Napoléon III.

Napoléon III manifeste un intérêt particulier pour les Acadiens. Il soutient financièrement la fondation de Saint-Alexis de Matapédia (Québec) et de Saint-Paul-de-Kent (Nouveau-Brunswick), deux villages acadiens, ainsi que d'autres à l'Île-du-Prince-Édouard ; et il finança personnellement des écoles, des cloches d'église et des instruments de musique à la demande des Acadiens, abandonnés par l'ancien régime.

En fait, toute la famille Bonaparte développe un vif intérêt pour le Canada français. Trois membres de la famille royale visitent Québec, présidant à chaque fois de grands événements extérieurs, passant en revue la garde, prenant la parole lors de banquets de célébration et contribuant à des initiatives précises. Par exemple, la visite du prince Napoléon en 1861, un an après la visite officielle du prince de Galles, l'a amené à faire don de la sculpture représentant une allégorie de la guerre qui trône au sommet du Monument des Braves à Sainte-Foy (Québec), commémorant les Canadiens, les Français. , ainsi que les soldats britanniques qui ont perdu la vie en 1760. C'était un geste de réconciliation et des milliers de personnes y ont assisté. Le Prince fait également don de livres et d'estampes à l'Institut Canadien, dont les conférences attirent de grandes foules et dont la bibliothèque est ouverte au public et contient des livres interdits par l'Église.

Un autre membre de la famille Bonaparte, Lucien Bonaparte Wyse, s'intéresse vivement aux initiatives de colonisation de la région du lac Témiscamingue et de l'Abitibi, dans le nord-ouest du Québec. Il investit son propre argent pour soutenir l'implantation de la paroisse de Guigues et de son église. Un autre membre de la famille, le prince Roland Bonaparte, lui rendit visite en 1888, bien qu'il s'intéressait davantage aux sujets géologiques, botaniques et ethnographiques. Il assiste à la célébration de la Saint-Jean-Baptiste, le 24 juin, où des milliers de Canadiens français se rassemblent sur l'île Sainte-Hélène pour l'entendre parler.

L’un des héritages les plus convaincants de Napoléon pour les Canadiens français fut le Code civil. Le Code civil du Bas-Canada (Québec) a été adopté par le Parlement de la province du Canada en 1865, à la suite d'un projet de loi adopté en 1857 créant une commission de codification à l'initiative de George-Etienne Cartier. Son objectif était de mettre à jour l'ancienne Coutume de Paris, le système de droit civil en vigueur en Nouvelle-France depuis 1664 et ensuite au Québec. Deux cents ans s’étaient écoulés depuis cette époque et, en effet, beaucoup de choses avaient changé. Le modèle de cette mise à jour a été trouvé dans le Code Napoléonien original, adopté à l'initiative de Napoléon lui-même en 1804.

Il y eut une résistance dans certains milieux (notamment de la part de l'Église) à ce changement du droit ancien, notamment dans le domaine des relations familiales, auquel l'Église accordait une attention particulière. Cependant, sachant à quel point Napoléon était vénéré par une large majorité, Cartier présenta le nouveau Code comme le plus grand héritage du génie de Napoléon. L'opinion publique réagit favorablement, même si le nouveau Code civil contient également des dispositions inspirées de la common law commerciale britannique.

Au cours des cent prochaines années, le Code civil restera inchangé, lien socioculturel durable entre le Québec, l'Empereur et la France. Si les Canadiens français devaient survivre en tant que société civile organisée, ils le devraient à Napoléon lui-même. Le lien historique avec l’Empereur était unique.

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LA MORT TRAGIQUE en 1879 du prince impérial, fils de Napoléon III, fut une cause célèbre au Québec. Le prince avait servi dans une expédition britannique en Afrique australe pour pacifier les groupes tribaux. Se séparant du corps principal pour poursuivre un courageux zoulou, le prince fut pris dans une embuscade et tué, âgé de seulement 23 ans. L'émotion publique au Canada français atteint un niveau extraordinaire, comme si c'était la fin du nom de Bonaparte. Les journaux ont publié des poèmes et des reportages pendant des mois. Une souscription publique est lancée au Québec pour payer un hommage floral adressé à l'impératrice Eugénie, mère du prince, alors résidant en Angleterre, avec une adresse écrite au nom de « la jeunesse du Canada français ». L'hommage floral a été présenté par un jeune étudiant en droit, Dennis Barry. Lorsque Barry revient de sa mission en Angleterre après avoir rencontré l'Impératrice, avec une escale à Paris pour rencontrer le prince Napoléon, il donne des conférences publiques à Québec sur le voyage.

Ce grand intérêt pour Napoléon et sa famille parmi la jeunesse canadienne-française était en fait cultivé par les enseignants, notamment dans les collèges, qui s'inspiraient de la vie de Napoléon. De nombreux auteurs, poètes, romanciers et journalistes canadiens-français se sont inspirés de ce que représentait Napoléon.

Mais en réalité, l’image de Napoléon désormais développée dans l’esprit du public avait été profondément aseptisée. Rares sont ceux qui ont mentionné que près d’un million de jeunes soldats recrutés par décret avaient perdu la vie sur les champs de bataille d’Europe, des milliers de blessés ou leurs familles brisées. Peu de gens parlaient de l'infidélité de Napoléon envers Joséphine, ou de ses deux fils hors mariage, et de nombreuses autres romances avec des actrices, des chanteuses d'opéra et des princesses étrangères qui ne faisaient pas exactement de lui un exemple moral à l'époque victorienne. Napoléon avait en effet été élevé au rang de surhomme, offert comme un exemple extraordinaire de réussite et destiné à motiver et inspirer toute une société. Les hommes politiques l’ont cité à de nombreuses reprises. Honoré Mercier, premier ministre nationaliste du Québec (1887-1891), a toujours été furieux de la façon dont les Britanniques avaient traité Napoléon à bord du HMS Bellérophon en 1815. Napoléon avait fait confiance aux Britanniques, mais ils ne lui ont pas accordé le procès militaire équitable auquel il avait droit. Sir Wilfrid Laurier connaissait par cœur l'histoire de Napoléon et était connu pour le citer. Une caricature d'Henri Julien représentait Laurier en Napoléon avec son bicorne, son long manteau gris et son sabre, prêt à charger. Un autre premier ministre du Québec, Félix-Gabriel Marchand (1897-1900), s'était déjà rendu à Paris et avait écrit sur la façon dont Napoléon III avait capitalisé sur la légende de son oncle.

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LA Troisième République ANTICLÉRIQUE a remplacé en 1870 le régime de Napoléon III, entraînant des développements inattendus. La France a adopté des lois interdisant l’enseignement de la religion dans les écoles et a ordonné la fermeture de toutes les institutions religieuses fournissant des services sociaux, pour être remplacées par un système public « neutre » (agressivement non religieux – ndlr). En 1905, les Français avaient officiellement proclamé la « séparation » de l’Église et de l’État, déclenchant le départ de plus de 2 000 membres d’ordres religieux de France. Ceux-ci furent à leur tour accueillis au Royaume-Uni et au Canada où ils poursuivirent leurs missions apostoliques. Cela met effectivement fin au Concordat de 1801 que Napoléon avait signé avec le Pape, rétablissant la liberté de religion en France et le statut de l'Église catholique. Le catholicisme en France avait prospéré sous le Concordat pendant cent ans, en particulier sous Napoléon III et l'impératrice Eugénie, une princesse espagnole connue pour être une catholique dévouée.

Après 1905, la France est devenue de plus en plus anticléricale, et pour les Français exilés au Canada et ceux qu'ils ont influencés, l'époque de Napoléon et de Napoléon III est devenue avec le recul un âge d'or pour la religion catholique dans leur ancien pays. Cette situation a renouvelé l'intérêt et les éloges pour Napoléon dans les écoles, dans les collèges, dans les publications, dans les journaux et dans tous les cas où l'héritage de Napoléon pouvait être mentionné comme bienveillant envers l'Église. L’opinion publique a commodément oublié que Napoléon avait auparavant méprisé le pape Pie VII et l’avait gardé prisonnier pendant plus de quatre ans, d’abord à Savone (près de Gênes) puis au château de Fontainebleau pendant près de deux ans. Le mythe était certainement plus fort que les faits historiques.

Même la mère de Napoléon a été élevée au rang de modèle pour les mères canadiennes-françaises qui devaient s'occuper de familles comptant en moyenne dix enfants et plus. Ces mères étaient invitées à suivre l'exemple de la mère de Napoléon qui resta toujours le pilier de la famille Bonaparte, à travers les moments de gloire et de misère de l'exil, gardant toujours ses convictions religieuses sincères.

L'étude de l'historien Joseph-Edmond Roy intitulée « Napoléon au Canada », qui cherchait à expliquer pourquoi les Canadiens français auraient pu être si anti-napoléoniens un siècle plus tôt, en a surpris plus d'un. Présentées à la Société royale du Canada en 1911, ses conclusions tendent à miner l'alliance de la Couronne et de l'Église, presque comme s'il s'agissait d'une fraude, persuadant les Canadiens français de suivre aveuglément leurs dirigeants.

La troisième venue du mythe napoléonien, qui se poursuit au cours du siècle suivant, voit la popularisation universelle de l'image et l'émergence de son nom comme marque utilisée pour vendre toutes sortes de produits commerciaux, enracinant Napoléon dans notre époque actuelle. société de consommation. Son image est également devenue un modèle pour mesurer le caractère des hommes politiques de tous bords.

Les programmes théâtraux proposaient au public intéressé plusieurs pièces de Napoléon, comme « Napoléon » de F. Meynet et G. Didier (1895), « Le Roi de Rome » d'E. Pouvillon et A. d'Artois (1898), et le la plus populaire, « Madame Sans-Gène » de V. Sardou et E. Moreau (1893), comédie opposant deux personnages forts : une femme robuste issue d'un milieu ouvrier qui finit par épouser le maréchal Lefebvre de l'armée de Napoléon, et Napoléon lui-même, face à face. Cette pièce fut jouée continuellement et devint un rite de passage pour les aspirants comédiens jusque dans les années 1950, diffusée dans les dix premières années de la télévision à Radio-Canada.

Les questions des critiques étaient toujours les mêmes : l’acteur représentait-il fidèlement l’image ? Il y avait tellement de gravures, d’images et de reproductions que les gens se formaient eux-mêmes une construction imaginaire de Napoléon, et l’acteur qui le représentait devait s’insérer dans ce moule psychologique et physique – le mythe étant toujours plus parfait que l’homme réel. Le phénomène de la pièce « L'Aiglon », écrite par Edmond Rostand en 1900 pour Sarah Bernhardt, est unique. La pièce raconte l'histoire du fils de Napoléon, en exil à la cour d'Autriche où est née sa mère Marie-Louise, et du rêve qu'il nourrit sur son père et sur un avenir meilleur qu'il ne connaîtra jamais puisqu'il serait retranché à un jeune âge. Bernhardt a interprété le rôle androgyne plus de 200 fois au cours de sa carrière. Lors de sa cinquième visite à Montréal en 1911, elle met en scène « L'Aiglon » à trois reprises.

« L'Aiglon » fut un succès à Québec et à Montréal en 1902, 1903, 1906, 1907, 1908, 1909 et 1910 et fut l'une des quinze pièces les plus jouées durant cette période. Il reste populaire dans les années 1920 et fait l'objet de dissertations et d'interprétations par des troupes étudiantes, amateurs et dans les collèges jusque dans les années 1960, un chef-d'œuvre classique dont le romantisme a tout pour plaire aux adolescents. On fait même un parallèle avec l'abandon du Québec par la France en 1763 et la perte d'un destin glorieux, tout comme le « jeune aigle » lui-même. De nombreuses générations de jeunes actrices canadiennes-françaises ont commencé leur carrière avec ce rôle, calquant toujours leurs costumes et leurs gestes sur Bernhardt, dont le portrait était représenté sur des cartes postales populaires familières à tous.

Napoléon a inspiré et nourri l’imagination des élèves, tout comme celle de leurs professeurs, pendant des années. De l'influent prêtre-historien Lionel Groulx, qui croyait qu'un leader providentiel se manifesterait un jour pour diriger les Canadiens français tel un Napoléon, à l'époque de Pierre Elliott Trudeau et de Brian Mulroney : chacun avait un intérêt marqué pour Napoléon. Trudeau faisait référence aux stratégies de Napoléon lorsqu'il s'adressait aux députés et aux sénateurs : il se levait comme un sphinx et disait : « Qu'aurait fait Napoléon dans ces circonstances ? Les membres de son caucus s’accrocheraient à ses paroles. Mulroney, dans ses mémoires, parle également de sa fascination pour Napoléon.

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LE NOM ET l'image de Napoléon ont été reproduits sur une myriade de produits quotidiens, y compris des marques de tabac telles que le « tabac miellé Napoléon » de WC McDonald's dans une boîte en forme de tambour. Les pipes en forme de tête de Napoléon, avec bicorne, restent populaires. Un club de baseball porte le nom de « Les Napoléon » (Lévis-Québec). Même les fonds communs de placement étaient vendus sous le nom de « l'Ordre des chevaliers Bonaparte », l'Ordre des Chevaliers de Bonaparte à Québec. Les meubles étaient décorés du buste de Napoléon ou de l'initiale « N », et des gravures et statues de toutes sortes se retrouvaient dans de nombreuses maisons. Les enfants apprenaient des chansons à l’école, comme celle qui commençait par : « Napoléon avait 500 soldats, marchant tous au même rythme… »

Certains des films muets les plus populaires projetés au Québec concernaient Napoléon. En 1906, le premier cinéma ouvert à Montréal présentait « La Vie de Napoléon ». En 1909, c'est Napoléon qui rencontre Joséphine. En 1914, à la veille de la Première Guerre mondiale, trois films sur Napoléon sont annoncés. Mais c'est Napoléon, le chef-d'œuvre muet de 1927 d'Abel Gance avec Albert Dieudonné, qui a attiré les plus grandes foules. Il ne faut donc pas s'étonner que l'une des caricatures politiques comiques les plus récurrentes au Canada français soit représentée par Napoléon, avec un bicorne, un manteau gris et un sabre. Parmi les premiers, il y a Sir Wilfrid Laurier en 1916. Cela se poursuit avec bien d'autres : Maurice Duplessis, connu pour ses positions autoritaires, en 1939 ; René Lévesque (en 1961), comme un avertissement à quiconque est appelé à exercer l'autorité ; le maire Jean Drapeau (1962) qui n'aimait pas l'opposition; Trudeau (1972), représenté avec une grande cape et un cheval à ses côtés ; Jean Chrétien (2002) dans son bureau; Le premier ministre Bernard Landry (2005), le maire Régis Labeaume de Québec (2010), le maire Denis Coderre de Montréal (2009), voire Stephen Harper, projeté par un cheval (2010), et enfin Pauline Marois (2012), photographiée comme Joséphine couronnée. par Jean-François Lisée dans le rôle de Napoléon, sans compter bien d'autres comme Lawrence Cannon et Gaétan Barrette, ministre de la Santé du Québec. Il s'agit d'une tradition ininterrompue de plus de cent ans, qui ne nécessite aucune explication, car les lecteurs en comprennent immédiatement le sens. Ce n’est pas vraiment négatif : il s’agit plutôt d’une prise de conscience de la tentation des politiques plutôt que d’une menace pour la démocratie.

Les collectionneurs ont rassemblé toutes sortes d'objets, de gravures, d'artefacts et d'œuvres d'art qui entretiennent un intérêt pour l'empereur. Ben Weider, l'homme d'affaires prospère de Montréal, a consacré sa fortune et son énergie à écrire des livres sur la mort mystérieuse de Napoléon, dont il a conclu qu'elle était due à un empoisonnement à l'arsenic contenu dans son vin à Sainte-Hélène. Les livres de Weider ont été traduits en 42 langues. Ils ont même inspiré le scénario d'un film d'Antoine de Caunes, « Monsieur N. », en 2002.

Dans les années 1950, le conservateur de la bibliothèque de l'Université McGill, Richard Pennington, a constitué la plus grande collection d'estampes napoléoniennes grâce au don de la collection personnelle de Frederick Southam. Les artistes contemporains continuent de peindre des œuvres comme « La dernière campagne de Napoléon » (1946) de Fernand Leduc, reproduite sur un timbre émis en 1998. Le producteur Yves Simoneau a réalisé en 2002 une mini-série télévisée composée de quatre épisodes de la vie de Napoléon. En 2010, une nouvelle pièce du jeune auteur Stéphane Brulotte, intitulée « Un jeu avec l'empereur », a été produite au Théâtre Jean Duceppe à Montréal, décrivant un complot imaginaire d'un jeune officier britannique visant à empoisonner Napoléon à Sainte-Hélène mais finalement confessant son intention criminelle à l'Empereur par admiration pour lui.

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ON NE PEUT PAS TUER Napoléon : il survit toujours à ses ennemis. Il est immortel. Personne ne s'étonne de trouver sur les tablettes des épiceries du Québec « Napoléon », le café biologique de torréfaction foncée marqué de l'image de l'Empereur, main droite en gilet ; ou encore le fromage « Napoléon » de la fabrique Blackburn de Jonquière, Lac-Saint-Jean, ou encore le fromage « Le Bonaparte » de Portneuf, qui a remporté le premier prix de l'American Cheese Society en 2009. Les produits étiquetés « Napoléon » ont tendance à se vendre : qu'ils soient barbecues, appareils de climatisation (par une entreprise située à Montréal, Québec et Barrie), ou toute autre chose. La liste est surprenante. L'image de Napoléon peut vendre presque tout : des jeans, des montres, des séries télévisées. Napoléon reste le sujet du plus grand nombre de livres jamais imprimés après la Bible. Pour les Canadiens français, groupe minoritaire sur un continent anglophone, Napoléon offre un lien avec un patrimoine universel partagé avec des millions d'autres à travers le monde, les rassurant dans leur statut minoritaire. Le mythe d’un self-made-man venu d’un coin obscur du monde en France et qui a conquis le monde – afin, dit le mythe, de promouvoir sa vision d’une société éclairée pour tous – reste une source d’inspiration puissante dans le monde psycho-social. conscience culturelle des Canadiens français.

Ressentir un lien avec Napoléon, c'est vivre au-delà de ses frontières. Il représente quelque chose d'universel qui transcende les âges, une idée que les générations successives peuvent adapter à leurs aspirations les plus chères, une idée qui rassure les Canadiens français sur leur propre survie en tant que peuple distinct au sein de l'Amérique du Nord. Napoléon reste ainsi un mythe unique dans une société où l'on ne s'attendrait pas autrement à retrouver le visage et la mémoire de l'Empereur.

Remarques:

1. « Révélé : le magnat du poulet qui a acheté le chapeau de Napoléon pour 1,5 million de livres sterling », Telegraph , 18 novembre 2014.

 

Serge Joyal PC, qui a été sénateur de la division de Kennebec de 1997 à 2020, est avocat et expert collectionneur et évaluateur. Il a été député libéral d'une circonscription de Montréal pendant dix ans, dont deux ans comme ministre d'État dans le cabinet de Pierre Elliott Trudeau. Cet article est adapté du livre de Joyal Le Mythe de Napoléon au Canada français , publié chez Del Busso de Montréal en 2013.

-- Publié dans The Dorchester Review 8, n° 2, automne-hiver 2018, pp. 15-23.


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