Comment penser la Couronne canadienne

De nos archives. Geoffroy Boulanger explique pourquoi la monarchie est au cœur de notre identité canadienne – et comment elle a été ancrée dans la Constitution de 1982. Une introduction pour les sceptiques et, nous le soupçonnons, pour de nombreux monarchistes également.

LE SEPTEMBRE. Le 15 décembre 2020, le gouvernement de la Barbade a annoncé que le pays passerait d'une monarchie constitutionnelle à une république. Ce changement, comme l'a déclaré la gouverneure générale, Dame Sandra Mason, ancienne juge principale, dans un discours du Trône rédigé par et pour le gouvernement de la Barbade, coïnciderait avec la célébration du 55e anniversaire de l'indépendance en novembre 2021. Le statut de républicain – en Selon les paroles de la Première ministre Mia Mottley, la Barbade pourrait « abandonner complètement son passé colonial ». Bien qu’il y ait eu une déclaration d’une telle intention dans un passé récent, elle n’a jamais été mise en œuvre. Étant donné que la Barbade est devenue l’une des démocraties les plus stables et les plus appréciées des Caraïbes – et ce n’est pas un hasard si cela s’est produit sous une monarchie constitutionnelle stable – le projet de devenir une république a fait sourciller. Certains prétendent que Pékin a exercé une influence anti-monarchique en coulisses pour saper une institution traditionnelle (cf. « La nouvelle République de la Barbade : une victoire pour la Chine ? » The Diplomat , 27 janvier 2022).

Même si le degré de soutien du public reste incertain, la réponse officielle du palais de Buckingham a été (comme on pouvait s'y attendre) mesurée et soigneusement formulée. En substance, le Palais a déclaré que c'était une question qui devait être tranchée par le peuple de la Barbade. Une telle approche est tout à fait conforme à celle adoptée en 1999 lorsque le Commonwealth d’Australie a organisé un référendum national sur le futur statut de la Couronne australienne. Le résultat fut que les citoyens de ce royaume décidèrent de maintenir le statu quo et de rester une monarchie constitutionnelle avec Sa Majesté la reine Elizabeth II comme chef de l'État, reine d'Australie.

Il est raisonnable de supposer que la position du Palais serait exactement la même dans les quinze royaumes (en plus du Royaume-Uni) où elle est chef d’État, y compris le Canada. Mais y a-t-il réellement des répercussions ici au Canada ? Plus précisément, l’avènement de la République barbadienne, si elle est mise en œuvre, pourrait-elle servir de catalyseur au petit mouvement « républicain » ici chez nous, mais souvent bruyant ?

Il n’est pas surprenant que les Canadiens qui soutiennent la monarchie constitutionnelle avec un système parlementaire comme la meilleure forme de gouvernement pour le Canada soient entièrement d’accord avec le Palais : la question devrait et doit être tranchée par les Canadiens seuls si la question est un jour formellement posée. Ce serait la manière la plus démocratique et la plus rationnelle de parvenir à une telle résolution.

POURTANT, ICI SE RÉSISTE un dilemme. D’après un récent sondage d’opinion publique, il est très clair qu’une grande majorité de Canadiens n’ont absolument aucune idée – ou, au mieux, très peu de compréhension – du rôle de la Couronne au Canada et de notre système de gouvernement. Ce n’est peut-être pas si surprenant lorsqu’on le replace dans son contexte. L’enseignement de l’histoire et de l’éducation civique a depuis longtemps été abandonné par les gouvernements provinciaux dans nos écoles publiques en tant que partie intégrante de tout programme obligatoire. Comment pourrions-nous alors demander aux Canadiens de porter un jugement éclairé sur une partie intégrante de notre système politique s’ils en savent peu ou rien ?

Pour célébrer le jubilé de diamant de la reine en tant que reine du Canada en 2012, le gouvernement fédéral (ministère du Patrimoine canadien) a publié une splendide production intitulée A Crown of Maples ( La Couronne canadienne ). Ce livret illustré de 65 pages présente un aperçu accessible, succinct et complet de l'histoire et du fonctionnement quotidien de la Couronne, tant dans les juridictions fédérales que provinciales. Au moins jusqu'à récemment, des exemplaires étaient encore disponibles gratuitement pour le public et les Canadiens, en particulier les éducateurs, feraient bien de profiter de cette précieuse ressource.

AVANT DE Plonger dans la monarchie constitutionnelle en tant qu’institution centrale de notre système politique, il convient de reconnaître que la Couronne a longtemps été un symbole puissant de ce pays et de sa souveraineté. On voit sa représentation visuelle sur la monnaie et la monnaie, dans les salles d’audience, sur les passeports, les médailles, les armoiries, dans nos législatures et dans un large éventail d’autres objets et lieux encore à travers notre société. En effet, dans le contexte nord-américain, il s’agit d’un élément puissant de notre identité qui nous distingue de nos voisins américains du sud. Dans le contexte des nombreuses controverses qui dominent actuellement le paysage politique américain, il est intéressant de relever l’une des principales différences entre nous.

Alors que nous avons au Canada un chef d'État (la Reine, avec ses onze représentants) et un chef de gouvernement (le Premier ministre), le président américain est à la fois chef d'État et chef de gouvernement. Les immenses pouvoirs et le profil de la présidence ont attiré beaucoup d’attention ces derniers temps alors qu’il signe de nombreux décrets, tout comme ses prédécesseurs.

Ce que l’on sait peut-être moins, c’est comment cela est arrivé. Dans leur fervent désir de se débarrasser de la monarchie suite à la révolution américaine, les Pères fondateurs ont créé la fonction de président avec des pouvoirs précisément basés sur ceux de Sa Majesté le roi George III. Beaucoup de ces pouvoirs ont depuis longtemps été retirés au souverain dans le système britannique, alors que nous et d’autres avons développé un système de monarchie constitutionnelle aux pouvoirs limités. Les pouvoirs présidentiels qui subsistent incluent le droit de choisir son propre cabinet, d'opposer son veto à la législation (Parlement/Congrès) et de mener une guerre secrète – comme le roi l'avait fait des siècles auparavant. Ces pouvoirs restent détenus par le président et on dit souvent en plaisantant que les citoyens des États-Unis élisent George III tous les quatre ans.

En tant que Canadiens, nous avons adopté et adapté un système de monarchie constitutionnelle qui répond le mieux à nos besoins particuliers en tant qu'État fédéré. Nous pouvons affirmer, avec une certaine fierté, que notre système s’étend sans interruption à travers l’histoire jusqu’à la Magna Carta et au-delà. La Couronne canadienne est en effet bien plus qu'un simple symbole ; il est non seulement au cœur de notre identité, mais reste également la clé de voûte de notre système de gouvernance qui est peut-être l'un des meilleurs au monde, même si aucun système n'est parfait.

Comme indiqué précédemment, la Couronne est bien plus qu’un symbole ; c'est une institution politique qui est au cœur même de notre système de gouvernement démocratique – une monarchie constitutionnelle dotée d'un gouvernement responsable et d'une structure parlementaire. Les étudiants des cours de sciences politiques 101 apprennent les principes de la politique et du pouvoir politique. Dans une monarchie constitutionnelle, le pouvoir n’appartient pas à une seule personne. Le pouvoir appartient à une institution qui sert à le sauvegarder dans l’intérêt de tous les citoyens. Cette institution est la Couronne.

Une caractéristique clé de notre système est le principe selon lequel les gouvernements exercent le pouvoir mais ne le « possèdent » jamais. Le pouvoir appartient plutôt à la Couronne et est confié uniquement aux gouvernements pour être utilisé au nom de tous les citoyens. Le pouvoir reste entre les mains d’une institution non partisane, à l’écart des frondes et des flèches quotidiennes de la politique. Pour utiliser des termes qui peuvent trouver un écho : les gouvernements gouvernent pendant que la Couronne règne . Comme l’écrivait de façon quelque peu poétique l’éminent politologue canadien Frank McKinnon : « Dans le système unique, l’âme de la nation est mise en avant ; dans l’autre, simplement le fait d’un gouvernement.

CERTAINS PEUVENT DIRE que tout cela n’est que théorie, jeu de mots ou simplement conjecture fantaisiste. S'il est vrai que les pouvoirs de réserve/prérogative de la Couronne sont peu nombreux, ils restent bien réels et peuvent être utilisés dans des circonstances extraordinaires qui peuvent être nécessaires pour sauvegarder nos principes démocratiques - notre paix, notre ordre et notre bon gouvernement.

À cet égard, il peut être utile de rappeler la question de la prorogation survenue lors du mandat du premier ministre Stephen Harper. Lorsqu’ils ont été soulevés pour la première fois, de nombreux Canadiens, y compris certains universitaires, ont consulté des dictionnaires et des manuels politiques pour obtenir des éclaircissements. C'est la Couronne (Son Excellence la Gouverneure générale) qui, après avoir soigneusement réfléchi et consulté des conseillers constitutionnels, a accédé à la demande du premier ministre dans le but d'assurer le maintien d'un gouvernement efficace. Ne vous y trompez pas : les pouvoirs de la Couronne sont peut-être peu nombreux, mais ils sont réels et pour cause.

On pourrait passer de nombreuses heures et remplir de nombreuses pages, comme l’ont fait de nombreux chercheurs, à approfondir la constitutionnalité des pouvoirs réels de la Couronne canadienne (la Reine, le gouverneur général et les lieutenants-gouverneurs), qu’ils soient rarement exercés ou non. Cependant, parce que nous vivons dans une « culture très visuelle », les propos du Dr McKinnon résonnent encore une fois avec un fait très pertinent concernant la Couronne dans la société contemporaine :

Les fonctions de gouverneur général et de lieutenant-gouverneur sont des extincteurs constitutionnels dotés d'un puissant mélange de pouvoirs à utiliser en cas de grandes urgences. Comme les extincteurs, ils apparaissent dans des couleurs vives et sont stratégiquement situés mais tout le monde espère que leurs pouvoirs de secours ne seront jamais utilisés ; le fait qu’ils ne soient pas utilisés ne les rend pas inutiles.

En effet, le fait qu’elles soient rarement « mises en jeu » est une indication et une validation claires de la force de nos institutions existantes.

Certains pourraient encore remettre en question la pertinence de certains de ces points de vue, voire la pertinence de la Couronne elle-même. Par conséquent, il est toujours extrêmement important de nous rappeler la nature de la fédération canadienne et les structures mises en place au moment de la Confédération pour garantir que la nouvelle nation s'épanouira et prospérera dans la paix, l'ordre et un bon gouvernement. La Couronne était alors et est aujourd’hui au cœur de la façon dont nous nous gouvernons, même si elle se fait discrètement et en grande partie dans les coulisses. À cet égard, l’une des principales forces de la Couronne s’avère être l’une de ses principales faiblesses. Il fonctionne si bien, tant au niveau fédéral que provincial, que de nombreuses personnes ne sont pas pleinement conscientes ou n'apprécient pas pleinement son rôle quotidien.

Il est intéressant de noter que, cinq ans après la Confédération, des jugements juridiques ont été rendus dans ce pays qui ont clarifié la position des lieutenants-gouverneurs provinciaux. Il a été statué que ces personnes n'étaient pas subordonnées au gouverneur général, mais qu'elles étaient plutôt des représentants directs du souverain dans leurs provinces, tout comme l'était le gouverneur général au niveau fédéral. Ainsi, Sa Majesté la Reine compte onze représentants directs au Canada, chacun exerçant des pouvoirs, rôles et devoirs clés en son nom de reine du Canada. Beaucoup d'entre nous ont noté avec beaucoup d'intérêt et de gratitude que, pendant le mandat de David Johnston, le gouverneur général faisait fréquemment référence à un rapprochement entre égaux lors de ses rencontres avec les lieutenants-gouverneurs.

La défense du Québec

LE STATUT DES lieutenants-gouverneurs est évoqué ici afin à la fois de raconter un moment intéressant de l'histoire du Canada et de souligner un autre point saillant. Au cours des discussions de 1980-1981 entre le premier ministre Pierre Trudeau et les premiers ministres provinciaux qui mèneront finalement au rapatriement constitutionnel en avril 1982, la question de la Couronne a été soulevée. Mais c'est le premier ministre du Québec, René Lévesque, qui fut l'un des plus ardents défenseurs du poste de lieutenant-gouverneur. Pourquoi? Il n’était pas nécessairement connu pour être le plus grand monarchiste autour de la table. Peut-être était-ce parce qu'il comprenait le statut constitutionnel des provinces au sein de la Confédération et considérait la sauvegarde de la charge de lieutenant-gouverneur comme un autre garant institutionnel du statut provincial souverain.

Lévesque n’était certainement pas le seul à élaborer une telle défense. L'un des principaux développements découlant du rapatriement, au-delà de la création d'une Charte des droits et libertés , était une clause stipulant que tout changement apporté à la Couronne canadienne (la Reine, le gouverneur général, les lieutenants-gouverneurs) nécessiterait l'approbation du le Parlement du Canada et les dix législatures provinciales. Bref, il faut qu'il fasse l'unanimité. C'est une vérité fondamentale que, lorsque la Reine a signé la proclamation sur la Colline du Parlement, la Couronne canadienne n'a fait que s'implanter davantage en tant qu'élément central de notre système de gouvernement.

CEUX QUI suggèrent que nous pouvons très facilement éliminer la monarchie en remplaçant simplement le gouverneur général par une personne nommée ou élue, ne comprennent pas ou choisissent simplement d'ignorer la véritable nature de notre fédération, les réalités de nos institutions actuelles et les processus qui en découlent. sont constitutionnellement en place et nécessaires pour préserver notre système de gouvernement démocratique. Il est évident que ces critiques n'apprécient fondamentalement pas à quel point la Couronne est profondément ancrée dans le tissu même de notre société et de notre système de gouvernance, ni à quel point les provinces perçoivent la Couronne d'une manière très particulière qui n'est pas la même. facilement modifiable.

Au-delà du raisonnement erroné de ce qui ne peut être considéré que comme un argument facile et quelque peu fallacieux en faveur de l’abolition de la Couronne, l’institution a manifestement évolué pour répondre aux réalités de notre pays. Ceux qui réclament un « chef d'État canadien » négligent commodément le fait que les onze représentants de la Couronne (le gouverneur général et les lieutenants-gouverneurs) sont tous des Canadiens issus de tous les horizons, de toutes les professions, de tous les groupes raciaux, religieux et linguistiques et ont été pendant une certaine période temps. En effet, la Couronne canadienne est, ou peut être, un brillant reflet de qui nous sommes en tant que société multiculturelle riche et, à travers les thèmes de mandat qu'elle choisit, peut servir à présenter et à faire avancer des questions qui nous concernent tous dans les communautés où nous vivons. . Avec Sa Majesté comme Reine et onze personnalités éminentes exerçant des fonctions en son nom, nous disposons d’une institution collective qui reflète, ou a toujours le potentiel de refléter, qui nous sommes et continue d’être bien adaptée à nos exigences contemporaines.

En 1994, un an avant sa mort, Robertson Davies faisait l'observation suivante sur le système politique canadien :

Dans un gouvernement comme le nôtre, la Couronne est l’élément constant et inébranlable du gouvernement ; les politiciens peuvent aller et venir, mais la Couronne demeure et certains aspects de notre système s'y rapportent et ne dépendent d'aucun parti politique. En ce sens, la Couronne est l'esprit consacré du Canada.

La continuité et la stabilité sont peut-être les caractéristiques les plus distinctives de la monarchie constitutionnelle. En 1987, trente-cinquième année de son règne, la reine Elizabeth II s'est adressée aux Canadiens dans un discours prononcé à Regina. Elle a parlé avec le cœur lorsqu'elle a déclaré :

La Couronne représente les idéaux politiques fondamentaux que partagent tous les Canadiens. Cela défend l’idée que les individus comptent plus que les théories ; que nous sommes tous soumis à l’État de droit. Ces idéaux sont garantis par une loyauté commune à travers le Souverain, envers la communauté et le pays.

Ce sont en effet des paroles profondes de la part de la femme gracieuse et remarquable que nous avons la chance de voir régner sur nous en tant que reine du Canada.

Geoffroy Boulanger est un fonctionnaire à la retraite. Cet article a été publié pour la première fois dans l'édition imprimée de THE DORCHESTER REVIEW, automne-hiver 2020, pp. 90-93. Cet article a également été publié précédemment sous le titre « The Crown : A Primer ».


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  • Sally Cunliffe le

    Canada and the Commonwealth has been interregnum for some time… as there is “the elephant in the room” which is the claim of Joseph Gregory Hallett King John III http://kingjohnthethird.uk needs to be explored and discussed and acknowledged in 2023. https://www.youtube.com/@KingofUK

  • Gerry Gagnon le

    The idea that there is a ‘separation of powers’ is ludicrous when the Governor General is simply another Prime Ministerial appointment, without even any Parliamentary hearings. The GG is ‘independent’ only in theory, not fact, and has not provided any counter-balance to the growing powers of the PMO.


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