Mystères de Kamloops

Par Jean-François Lisée

La chronique suivante a été publiée aujourd'hui dans Le Devoir ( Montréal ), le 5 février 2022 :

Huit mois après la découverte des traces de 215 tombes près du pensionnat pour autochtones de Kamloops, combien de corps ont été identifiés ? Aucun. Exhumé ? Aucun. Des ossements humains ont-ils été confirmés ? Non. Un deuxième avis a-t-il été obtenu ? Non. Il y a quelque chose de très mystérieux à propos de Kamloops. Et s’il est vrai que des membres des Oblats ont délibérément enterré 215 enfants autochtones sans en avertir leurs parents ni les autorités et ont ensuite réussi à le dissimuler pendant des décennies, il s’agit là d’un des crimes les plus graves de l’histoire de ce pays.

Pourquoi le site n’a-t-il pas été immédiatement désigné scène de crime ? Pourquoi nos meilleurs experts en scènes de crime n'ont-ils pas été envoyés là-bas ? Le cimetière présumé est situé dans une réserve, et je comprends la réticence justifiée des Autochtones à considérer la GRC comme partiale. Pourquoi ne pas créer une escouade conjointe composée d'excellents policiers autochtones, notamment pour codiriger l'enquête?

Ironiquement, il semble que la réponse à cette affaire ait été simultanément maximaliste - la qualifiant de « charnier » comme l'ont fait les médias, ce qui n'est pas le cas, battant les drapeaux en berne pendant cinq mois, humiliant publiquement le Premier Ministre lors de sa visite à Kamloops, exigeant des excuses immédiates du pape - et minimaliste, omettant de prendre la seule mesure concrète pour prouver la véracité de l'affaire : une perquisition.

Après de nombreux débats, les membres de la Nation Tk'emlups te Secwépemc ont décidé de procéder aux enterrements, mais selon un échéancier qui n'est pas encore connu. La GRC dit avoir ouvert une enquête, en consultation avec la Nation, mais on ne sait rien. Sur le terrain, rien ne bouge.

L'état des preuves L'anthropologue Sarah Beaulieu a arpenté le terrain à l'aide d'un géoradar qui détecte les anomalies du sol qui pourraient avoir été causées par le creusement de tombes. La technique ne permet pas de percevoir la présence de cadavres ou d'os. Une seconde enquête lui a fait réviser le nombre de ces perturbations à la baisse, de 215 à 200. Mais d'autres chercheurs ne peuvent examiner ses résultats, car la Nation s'y oppose.

Ensuite, il y a les témoins directs. L'émission The Fifth Estate de la CBC a présenté le mois dernier le témoignage le plus complet jamais recueilli sur le sujet. Il n’a été trouvé personne ayant vu les sépultures, mais plusieurs témoignages font froid dans le dos.

Une ancienne pensionnaire, Audrey Baptiste, se souvient qu'à l'âge de 10 ans, elle a vu les corps de quatre jeunes garçons pendus dans une grange. Elle a reconnu un de ses camarades de classe. Pour avoir posé des questions aux professeurs religieux, elle affirme avoir été frappée aux bras et aux mains avec un "strappado". Le chef d'une nation voisine, Michael LeBourdais, raconte que son oncle, pensionnaire dans les années 1950, lui racontait que les garçons étaient obligés de se battre et que le vainqueur, ou le perdant, était ensuite obligé d'aller creuser des trous dans le verger où se trouvaient les prétendues tombes. trouvé. Son oncle semblait convaincu qu'il s'agissait de tombes. "Creusez un trou, quelqu'un disparaît. Creusez un autre trou, quelqu'un disparaît", lui dit-il. Le chef Harvey McLeod, d'un autre pays voisin, également ancien élève de l'école, raconte qu'une dame lui a avoué en sanglotant : « Je faisais partie de ceux qui les ont enterrés ». Il n'a pas pris ses coordonnées. Mais un appel public à témoignage pourrait être utile pour retrouver ces participants.

Il existe des preuves circonstancielles. Des anciens étudiants ont déconseillé d'entrer dans le verger car "il y avait des trous". Une rumeur persistante sur l'existence de ces sépultures. Sans parler des témoignages directs d’agression sexuelle. Et il y a des rumeurs selon lesquelles le fourneau du sous-sol aurait été utilisé pour brûler des fœtus ou des nouveau-nés, mais sans preuve. Des étudiants « disparus » puis retrouvés

Enfin, il y a les noms des étudiants disparus. La Commission de vérité et réconciliation a identifié 3 200 étudiants autochtones à travers le Canada qui ne sont jamais revenus des pensionnats. Parmi eux, 51 provenaient du pensionnat de Kamloops. Il est naturel de penser que ces 51 étudiants doivent figurer parmi les 200 mentionnés.

L'historien québécois Jacques Rouillard, qui avait déjà travaillé sur les archives des pensionnats de l'Alberta, a recoupé les informations des dossiers de Bibliothèque et Archives Canada avec les certificats de décès conservés dans les registres d'état civil de la Colombie-Britannique. Une source que la Commission ne semble pas avoir consultée. Dans un article publié dans The Dorchester Review , Rouillard rapporte avoir localisé 37 des 51 élèves « disparus » : parmi eux, il en a identifié 17 décédés à l'hôpital, 8 décédés à la suite d'accidents survenus dans leur réserve ou à proximité de l'école. , et 2 qui ont été répertoriés deux fois par la Commission (ce qui porte le total à 49). Parmi eux, 24 sont enterrés dans leur cimetière de réserve et 4 dans le cimetière officiel de la réserve de Kamloops. Il écrit : « On est loin des affirmations non vérifiées selon lesquelles les autorités n'auraient pas enregistré les décès, que les proches n'auraient pas été informés ou que les dépouilles n'auraient jamais été restituées à leurs familles. » L'ancien juge Brian Giesbrecht est arrivé indépendamment à la même conclusion. Il publie la liste des noms avec les informations trouvées.

Les doutes soulevés quant à la véracité des affirmations et le retard dans la réalisation des recherches ont conduit certains à qualifier le cas de Kamloops de canular massif. Je ne partage pas ce point de vue. Il est toutefois urgent de traiter les allégations et les preuves avec sérieux et méthode. Tout dépend de l’existence ou non de ces 200 corps. Une recherche rapide et indépendante est essentielle. La vérité et la réconciliation en dépendent.

Lisez l'original (en français) dans Le Devoir ici .